Un état de l’art contemporain en France : interview de Gilles Fuchs, président de l’ADIAF
Gilles Fuchs, président de l’ADIAF (Association pour la Diffusion Internationale de l’Art Français) accepte de nous recevoir pour discuter du Prix Marcel Duchamp, de la sous-représentation des femmes en art, de La Force de l’Art, de Monumenta, et de l’art français. Au mur, une mosaïque de photographies de Nan Goldin sur la jeunesse tokyoïte…
L’ADIAF, qui délivre le Prix Marcel Duchamp, a été créée dans le but de promouvoir l’art national à l’international…
Dans le terme promouvoir, il y a une connotation commerciale que nous ne revendiquons pas. Catherine Millet, Daniel Abadie, Daniel Templon et moi-même avons fondé l’ADIAF dans le but de mieux faire connaître les artistes à l’étranger. Nous sommes dans le militantisme, le mécénat pur. Un tiers du financement provient des membres de l’association. Ce qui permet de soutenir le Prix Marcel Duchamp, d’éditer un catalogue, de donner une dotation financière aux artistes primés ainsi qu’une aide à la production.
Comment sont financés les voyages organisés pour les membres ?
Les membres paient pour leurs voyages.
L’ADIAF est majoritairement composée de collectionneurs. Ses membres sont-ils exposés à la tentation de faire monter le cours des artistes de leur collection ?
Il y a deux-cent cinquante collectionneurs qui choisissent quatre artistes. Ce serait difficile de placer ses propres artistes ! Il y une confusion entre le rôle des collectionneurs et la spéculation marchande des œuvres d’art. Les journalistes ne font état que des prix exceptionnels qu’atteignent les œuvres lors de ventes. Le but de l’ADIAF est de montrer que les collectionneurs ont un rôle à jouer. À l’origine, les institutions étatiques sont monopolistiques. L’objectif est de susciter le désir de regarder et éventuellement d’acquérir, comme les honnêtes hommes du XVIIème siècle. Le second objectif est de faire connaître la scène française à l’étranger et de contrer « le lent effacement » (termes du rapport Quémin, ndlr) qui n’a pas de raison précise. Peut-être était-ce parce que le marché était essentiellement concentré aux Etats-Unis puisque les américains, patriotes, suivaient de près leurs propres artistes. Ils ont d’ailleurs eu de grands artistes à l’époque. La France ne manquait pas de grands artistes, mais il y avait un maillon manquant. Il y eut un cataclysme à la Biennale de Venise de 1964. Des tricheries avérées lors de l’attribution du Lion d’Or à Robert Rauschenberg ont changé la donne : pour être primé, il faut être exposé dans le Giardini, or Rauschenberg n’y était pas…Rauschenberg est un artiste de qualité exceptionnelle mais la question n’est pas là. À partir de ce moment, les français ont pu réapparaître sur la scène internationale. D’ailleurs, le pavillon français a été primé récemment.
Comment se déroule la sélection du lauréat ?
C’est une procédure mécanique : tous les membres communiquent le nom des quatre artistes qu’ils ont choisis. Ils doivent élire des artistes français ou habitant en France, de préférence de moins de cinquante ans. Ensuite, un comité de sélection renouvelé chaque année accorde le prix à un des quatre artistes sélectionnés. Nous jugeons l’œuvre d’une vie. Les apports extérieurs sont extrêmement fructueux. Grâce à des personnalités comme Chen Zhen ou Gao Xingjian par exemple, nous avons eu accès à de nouvelles formes de pensée. Dans les artistes que nous avons choisis, il y a 20% d’étrangers.
L’accrochage « Elles » au Centre Pompidou réactualise la question de la sous-représentation des femmes dans les milieux artistiques. Faites-vous attention à la parité dans votre sélection ?
On fait attention à la présence de femmes mais ce n’est pas un critère déterminant. Si on n’avait que des Louise Bourgeois dans notre sélection, on n’aurait que des Louise Bourgeois. Les personnes sélectionnées sont artistes avant d’être femmes. Il est vrai que les artistes promus par les galeries sont en majorité des hommes…Sur neuf prix, nous avons trois femmes. Dans nos jurys, nous avons autant de femmes que d’hommes. En art, même si les femmes ont peut-être une sensibilité différente, il n’est pas essentiel de distinguer les deux genres : si vous lisez un bon roman, il n’est pas nécessaire de savoir si c’est un homme ou si c’est une femme qui l’a écrit. Ce n’est pas vital au niveau de l’organisation de la société. Si vous demandez à Annette Messager si elle est une artiste femme, elle vous griffera et vous dira : je suis UN artiste.
Avez-vous un rapport concurrentiel avec le Prix de la Fondation d’entreprise Ricard ?
Le Prix Ricard et nous, avons un fonctionnement différent : ils élisent des artistes plus jeunes et ont un mode de sélection différent. Les membres collectionneurs votent et c’est au conservateur qu’appartient la décision finale. Notre jury est composé de professionnels qui connaissent les œuvres. C’est un jury international composé de sept personnes. Les membres fixes sont Madame Matisse, à qui appartiennent les droits des œuvres de Marcel Duchamp, le directeur du Musée national d’art moderne, Alfred Pacquement, et le président de l’ADIAF, c’est-à-dire moi-même. À cela il faut ajouter deux collectionneurs et deux conservateurs, tous d’envergure. Le jury est à moitié composé d’étrangers afin d’éviter un choix hexagonal et le diktat des institutions françaises.
Le rapport Quémin insiste sur la nécessité pour les artistes d’entrer dans les collections permanentes. Le Prix Ricard permet aux œuvres des artistes primés d’intégrer les collections permanentes du Centre Pompidou. Pensez-vous que cela soit pertinent ? Si oui, avez-vous des actions en ce sens ?
C’est une remarque pertinente et l’initiative du Prix Ricard est louable. En ce qui nous concerne, nous sommes suivis par le Centre Pompidou. En effet, le Centre possède déjà les artistes que nous primons et, si ce n’est pas le cas, il les achète. Sur les quarante-trois nominés de cette année, le Centre Pompidou a dans ses collections permanentes trente-sept d’entre eux. Depuis la création du Prix Marcel Duchamp, le Centre Pompidou a acquis une cinquante des artistes que nous avons sélectionnés. C’est une réelle chance pour les artistes car le Centre Pompidou accueille quelque 70 000 visiteurs. La question des expositions temporaires ou permanentes est difficile. En effet, si un musée qui se veut dynamique est obligé de montrer ce qui se passe actuellement, son but premier est de conserver, d’acquérir et d’organiser ses collections permanentes. Bien sûr, on a envie d’avoir l’avis du Centre Pompidou sur l’actuel mais il y a aussi d’autres endroits pour le faire.
Que pensez-vous de La Force de l’Art en tant que vitrine de l’art contemporain français ?
La Force de l’Art est essentielle. C’est ce pour quoi nous nous sommes battus, pour montrer qu’un art français existe. Tout le monde parle d’art chinois, indien, islamique, américain, russe, etc. Pourquoi n’y aurait-il pas un art français ? Si le créateur d’Abidjan faisait la même chose qu’un artiste du 7ème arrondissement de Paris, quel ennui ! Des personnes comme Olivier Kaeppelin ou des organismes comme le Prix Ricard ou l’ADIAF ont beaucoup œuvré en ce sens. Maintenant on ne rit plus lorsqu’on parle d’art français même si la spéculation va moins vite en France qu’ailleurs. Le principe est de montrer un point de vue français. Même le dernier des idiots sait que ce n’est pas la même chose d’écouter Wagner ou Verdi, qu’il y a des spécificités. Mais l’art français n’est pas dans l’air de temps, qui est la sensation, le spectacle, la spéculation. Malgré tout, Christian Boltanski, qui est un artiste de l’intime et de l’émotion, est parvenu à faire une œuvre monumentale, exceptionnelle par sa cohérence, sans pathos, sans esbroufe (pour Monumenta, ndlr). Il a réussi à construire une cathédrale, on rentre et on est frappé, muet. C’est une exposition incroyable qui fait comprendre la mission de l’art par l’appréhension qu’en a un artiste français.
Qu’avez-vous pensé en particulier de la seconde édition de La Force de l’Art ?
La Force de l’Art 02 fut très intéressante. Pour la première, il y a eu six mois pour faire l’exposition. Ce qui s’est soldé par un déballage et un résumé des trente dernières années de l’art en France. Pour la seconde, ce fut le point de vue de trois commissaires. Les œuvres furent bien mises en valeur. Il y eut naturellement moins de visiteurs que pour la première, car c’était moins nouveau. Mais globalement, les deux éditions ont été bien reçues. Un journaliste pense que s’il ne critique pas, il est consensuel. Il faut qu’il y ait débat, pour une question de stimulation intellectuelle, mais il ne faut pas que cela soit systématique.
Pourtant, certains artistes interrogés pensent que l’accrochage fut raté…
C’est vrai. Philippe Mayaux, par exemple, regrette que les œuvres exposées à l’extérieur de son cubicle (box alloué à chaque artiste, ndlr) fassent oublier celles qui étaient à l’intérieur.
Par qui est assuré le commissariat des expositions que vous organisez ?
Nous l’assurons nous-mêmes. Jean-Marc Prévost (spécialiste de l’art contemporain et conservateur, ndlr) est souvent en charge du commissariat de nos expositions. Nous avons décidé d’arrêter de faire des expositions à l’étranger car ce n’est pas véritablement notre vocation, l’état le fait très bien. Désormais, nous souhaiterions montrer une vision de la scène française à travers le Prix Marcel Duchamp. Pour son dixième anniversaire, nous montons une exposition à Strasbourg des collections de nos membres autour du Prix. Ensuite, nous ferons voyager l’exposition. Nous sommes en pourparlers avec le Japon, par exemple.
Comment vous est venu votre goût pour l’art contemporain ?
Quand on est collectionneur d’art contemporain, on n’a jamais fini, c’est son agrément. L’intérêt est de voir comment les artistes parlent de leur époque, comment ils définissent la personnalité de notre époque contemporaine. Au-delà des commentaires politiques, il y a aussi des commentaires cérébraux, qui sont des réflexions sur l’esthétique. Je ne vois plus l’art comme je le voyais dans ma jeunesse. La vision de l’art a totalement changé.
Diaporama des différentes oeuvres du Prix Marcel Duchamp
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Crédits photo : Carole Benzaken, Prix Marcel Duchamp 2004, Search for a new land, Centre Pompidou, Espace 315.
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