Le Qatar finance-t-il les djihadistes du Nord-Mali ?
Les rumeurs autour du soutien du Qatar aux milices islamistes du Nord-Mali se multiplient aussi vite que les cellules cancéreuses autour d’une tumeur maligne. Et le mouchard, qui le premier a instillé le doute dans les esprits, est le plus illustre Canard (Enchaîné). A l’heure actuelle, nombre d’experts et de politiques français accusent l’ami qatari d’entretenir avec les jihadistes du Nord-Mali des liaisons sinon dangereuses du moins douteuses…
Parmi ceux qui accusent le Qatar de soutenir les trois milices – Al-Qaïda au Maghreb Islamique, plus connu sous l’acronyme Aqmi, le Mujao pour Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest et les Touaregs d’Ansar Dine – qui se sont emparées du Nord du Mali entre mars et juin 2012, se trouvent la présidente du Front national, Marine Le Pen, et la sénatrice communiste, Michelle Demessine. Les deux femmes, situées de part et d’autre de l’échiquier politique, se sont permises de dénoncer le soutien financier de Doha aux forces islamistes, relayant ainsi les accusations formulées par Le Canard Enchaîné du 6 juin dernier.
Intitulé « Notre ami du Qatar finance les islamistes du Mali », l’hebdo aux pieds palmés rapportait que l’émir du Qatar avait apporté une aide financière aux mouvements jihadistes contrôlant le Nord du Mali par les armes depuis le mois de juin. S’appuyant sur les dires d’une source présente au sein de la Direction du renseignement militaire français (DRM), Le Canard Enchaîné expliquait que « les insurgés du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), les mouvements Ansar Dine (proche d’Aqmi) et Mujao [avaient] reçu une aide en dollars du Qatar ». Pire : les autorités françaises auraient été informées des transactions entre les Qataris et les miliciens du Nord-Mali, selon le journal.
Si les accusations du Canard sont confirmées, les membres du Gouvernement socialiste, qui rencontraient récemment leurs homologues qataris, se seraient donc fourvoyés en déroulant le « tapis rouge » aux amis de leurs ennemis. A moins qu’ils n’aient préféré fermer les yeux sur une bien triste réalité. Pourquoi ? Pour booster les intérêts économiques de la France, selon le chroniqueur de L’Humanité, José Fort, branchés aux investissements qataris comme le comateux l’est aux machines qui le maintiennent en vie.
« En France, le Qatar achète des consciences, des palaces, des médias, une équipe de foot et s’intéresse de très près aux banlieues dites « sensibles » », explique le journaliste communiste avant de poursuivre : « Pratiquant comme une véritable 5e colonne, le Qatar s’incruste dans tous les secteurs économiques, politiques, sociaux, médiatiques de notre pays. Dans le même temps, il finance, conseille et arme les néofascistes qui sèment la terreur dans le Sahel. »
Ces incriminations bruyamment colportées par les « extrêmes » politiques (le PCF, mais aussi le FN) ne sont pas dénuées de fondement. Elles sont soutenues par une pléthore d’experts au verbe plus nuancé et d’hommes politiques directement concernés. Ainsi, le chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du Mali, André Bourgeot, reconnaît que « même s’il n’existe aucune preuve formelle concernant une possible connexion entre Doha et ces groupes jihadistes, des faisceaux d’indices laissent fortement germer le doute ».
C’est sans détours, que Sadou Diallo, le maire de Gao (ville du Nord-Mali occupée par les islamistes jusqu’au 26 janvier dernier), accusait le Qatar de soutenir – matériellement – les ennemis de la coalition franco-malienne. « Le gouvernement français sait qui soutient les terroristes. Il y a le Qatar, par exemple, qui envoie soi-disant des aides, des vivres tous les jours sur les aéroports de Gao, Tombouctou, etc. », déclarait-il en juillet au micro de RTL. Comment les autorités qataries sont-elles intervenues dans le Nord du Mali ? Par l’intermédiaire de l’ONG Croissant Rouge, la seule autorisée par les jihadistes et qui, selon les dires d’un membre du MNLA, distribuait des biens – de l’huile, du sucre, du riz, du thé, etc. – pour « aider le Mujao à se rapprocher de la population ». Une version démentie par l’émirat…
Pour le directeur du Centre français de recherche sur les renseignements (CF2R), Eric Denécé, l’intervention du Qatar ne se limite pas au Mali : « Doha joue un rôle partout où il y a des mouvements islamistes. Tout comme c’était le cas en Libye et que c’est le cas en Syrie ». Ce que reconnaît le Qatar. Mais ce qui ne prouve aucunement le soutien du pays aux milices islamistes du Nord-Mali. Que cherche donc le « Nain aux couilles en or (noir) » ? A accroître son influence politique et culturelle en Afrique de l’Ouest et dans la bande sahélienne. A développer ses intérêts économiques.
Plusieurs experts, comme le Géographe Mehdi Lazar et le spécialiste du Qatar Ennarsi Nabil, doutent fortement de l’implication directe de l’émirat dans la Guerre au Mali. Pour eux, la pétromonarchie prendrait simplement la place de médiateur dans d’éventuelles négociations entre le Mali, l’Algérie, la France, les Etats d’Afriques de l’Ouest réunis dans la CEDEAO et les rebelles du Nord. Pourquoi de tels soupçons continuent-ils de planer sur les Qataris ?
Pour M. Nabil, le Qatar fait « les frais [d’une] réputation sulfureuse dont il est en partie responsable. Même sans preuves indiscutables, le doute plane du fait d’une stratégie d’influence mondiale qui ne néglige aucun domaine d’intervention. » « A force d’affichage et de marketing, la stratégie du « soft power », chère aux stratèges de Doha, peut avoir des effets boomerang », conclut-il.
Photo : Un convoi de combattants du Mujao (Gao, le 7 août 2012). REUTERS/Stringer.
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