La burqa et la République : incompatibles ?
Alors que le rapport de la mission sur le port du voile intégral a été remis il y a quelques semaines au premier ministre, les débats ont été intenses entre gauche, droite et citoyens ordinaires.
La burqa, le voile intégral, le niqab, peu importe la dénomination, a soulevé un de ces débats dont la France a le secret, où valeurs de la République, droits de la femme, religion, ordre public et engagement politique se mêlent avec confusion et effusion. Les discussions autour de la burqa, cet habit traditionnel qui recouvre tout le corps de la femme, se sont concentrées sur l’opportunité ou non de voter une loi interdisant son port dans l’espace public. Après les déclarations du président Sarkozy, selon qui la burqa n’est pas « l’idée que la République française se fait de la dignité de la femme», une mission parlementaire devait faire état du phénomène et réfléchir à des solutions. Se gardant de prendre position, le rapport a laissé au Conseil d’Etat le soin d’examiner une éventuelle proposition de loi contre le port du voile intégral dans l’espace public. Le rapport préconise tout de même l’adoption d’une résolution parlementaire réaffirmant la prééminence des valeurs républicaines sur les pratiques communautaires, et condamnant le port du voile comme contraire à ses valeurs.
Promotion personnelle
Les politiques se sont bien sûr emparés du débat, droite et gauche étant divisées, entre elles comme au sein de leur propre parti. L’Elysée freine, partisane du consensus, l’Assemblée pousse et les francs-tireurs se multiplient. Social, le sujet est devenu politique, voyant s’affronter deux visions opposées : celle de Jean-François Copé, président du groupe UMP, qui se pose en farouche défenseur d’une interdiction générale, et celle du président Sarkozy, qui se veut beaucoup plus prudent. Alors que Copé a déposé une proposition de loi, au nom de l’UMP, l’Elysée a dénoncé de son côté une promotion personnelle de l’ambitieux maire de Meaux qui est sur une trajectoire présidentielle.
Laïcité contre liberté ?
Mais en dehors de ces considérations politiques, le débat sociétal fait rage entre partisans durs d’une laïcité pure et défenseurs de la diversité et des libertés individuelles. Une loi au nom de la laïcité peut-elle menacer les libertés individuelles ? Deux des principaux fondements de notre République peuvent-ils se contredire et entrer en conflit ? Les débats se cristallisent autour de la défense, d’un côté de la liberté de ces femmes à qui on impose, ou non, de se voiler entièrement, et de l’autre celle du droit de ces femmes à exercer librement leur religion. La question qui fait rage est celle de la liberté de ces femmes. La République est-elle là pour déterminer si elles sont libres ou opprimées, et si le voile intégral symbolise l’inégalité entre l’homme et la femme ? Les obstacles à la législation d’interdiction sont nombreux : une loi prendrait le risque de stigmatiser les musulmans et l’Islam, dans un contexte où les valeurs républicaines sont malmenées par le débat stérile sur l’identité nationale. La laïcité n’est pas censée régir la tenue des adultes dans l’espace public. Même si la burqa n’est pas une prescription religieuse, la viser, c’est risquer de se mettre à dos une partie de la communauté musulmane, déjà méfiante à l’égard de la France. Le repli identitaire auquel on assiste dans les banlieues et la montée de l’islamisme inquiète et en pousse beaucoup à se positionner en faveur d’une législation. Mais est-ce la bonne solution? Les minorités visées ne vont-elles pas, en représailles, adopter une ligne plus dure et encourager, par provocation ce phénomène encore très minoritaire aujourd’hui (pas plus de 2000 femmes en France) ? Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme pourraient invalider une loi, considérée par certains comme une atteinte aux libertés individuelles. De plus, la loi serait difficilement applicable par les forces de l’ordre. La plupart des femmes en burqa sont en effet issues de cités sensibles où la police a déjà beaucoup de mal à intervenir en temps normal.
Les principales intéressées, dont on trouve en ce moment de nombreux témoignages dans la presse, proclament leur libre choix et la compatibilité de leur conviction religieuse avec le respect des valeurs de la République. Mais pour Jacques-Alain Miller, philosophe et psychanalyste, « voir sans être vu, c’est être pur regard : ça paralyse toute interaction, ça rend impossible l’intersubjectivité. La burqa n’est pas citoyenne ». Les Français, eux, sont une majorité à s’être prononcés en faveur d’une loi d’interdiction dans l’espace public. Le débat est loin d’être clos.
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