« Tête de Turc » : ITV Pascal Elbé
Pour sa première expérience derrière la caméra, Pascal Elbé signe « Tête de Turc », un vrai film de genre. Un polar sombre et très réaliste mêlant violences des cités, injustices sociales et immigration sur fond d’enquête à suspense. Pour Campus, l’acteur-réalisateur-scénariste livre sa vision des choses, de son travail, de son œuvre et de la société actuelle.
La forme narrative de « Tête de Turc » est en puzzle, c’est très audacieux pour un premier film. Etait-ce un défi personnel ou l’histoire imposait-elle cette construction ?
J’avais un scénario qui était bien apprécié en lecture. Après pour mon premier film, j’avais aussi envie de me faire plaisir. J’aurais pu le filmer façon « frères Dardenne », chronique sociale mais comme c’est un film de genre, j’ai voulu soigner la forme. En fait, c’est le rassemblement de toutes mes influences en tant que cinéphile qui a abouti à cette forme narrative.
Quelles ont été ces influences ?
Pour la structure, j’ai clairement été inspiré par Paul Haggis (Collision), Inarritu. Quand il a fallut faire vivre les personnages par contre, j’ai plus puisé dans le cinéma espagnol, israélien avec ces personnages qui parlent avec un gros débit, de façon très crue. En fait, je me suis nourri de beaucoup d’influences mais très peu, dans le cinéma français.
Le jeune Samir Makhlouf est très convaincant dans le premier rôle, comment l’avez-vous découvert ?
J’ai passé un gros casting. Assez classique, je suis passé dans pas mal d’écoles. Samir a répondu à l’annonce comme plein de jeunes. C’est lui qui est sorti du lot. Il avait une écoute, une envie, une envie d’apprendre. Je me suis dis « avec lui, on va pouvoir travailler. » Je ne voulais pas d’acteur professionnel car à cet âge-là, je ne trouve pas que cela veuille dire grand-chose. Je voulais quelqu’un qui soit dans le même état d’urgence que le personnage. Samir était tout à fait dans cet esprit-là.
« J’ai fais ce film comme je suis dans la vie. Curieux et en colère. »
Le film donne une impression très travaillée, méticuleuse. Cela contraste avec votre image d’acteur plutôt cool. Pascal Elbé-réalisateur est-il différent de Pascal Elbé-acteur ?
Quand je suis acteur, je dégage cette image qui est en fait un vrai travail. Derrière la caméra, l’ambition est la même. En tant que réalisateur, on n’a pas du tout la même approche. On a tout en tête, beaucoup d’avance sur le comédien qui vient lui, réciter son texte. On doit tout gérer. Surtout « Tête de Turc » s’est tourné en six semaines, c’est très court. Il fallait donc que tout soit bien calé. Cette précision était obligatoire. Comme acteur, j’ai exactement la même démarche seulement, ça se voit moins.
Le polar est assez rare dans le cinéma français. Etait-ce une volonté de se détacher de tout ce qui sort en ce moment ?
J’ai fais ce film comme je suis dans la vie. C’est-à-dire curieux et en même temps en colère. Il y a des choses que je trouve un peu plates et fades dans le cinéma français ou alors, on essaye de recopier le cinéma américain. Des fois, je suis un peu déçu. Quand je passe derrière la caméra, c’est moi qui prend la parole donc je vais essayer de raconter ce que je ressens. C’est une démarche naturelle et c’est exactement ce que je suis.
Lors d’un entretien, Roschdy Zem explique qu’il a voulu vous tester en tant que réalisateur au début mais que vous n’aviez pas laissé place au doute et l’aviez gentiment recalé…
Je dirige en parlant énormément avec mes acteurs. Avec Roschdy, c’était pareil. Il a voulu tester, il a rapidement vu que je savais parfaitement où je voulais aller. Je suis précis mais je ne suis pas non plus dirigiste. Sur mon plateau, je n’ai pas fais de « cadavres. » On peut faire les choses avec intensité sans se comporter comme un âne. Je souhaitais que ce film soit une vraie aventure humaine mais surtout, une belle aventure. Pas un joli film avec des gens qui se disputent. J’ai essayé de faire ça avec beaucoup de passion mais aussi, beaucoup de douceur. Comme je suis acteur, je suis peut-être plus habile pour parler à mes acteurs.
Au niveau de l’histoire, il y a une vraie critique sociale sur l’état actuel de la France. Vous êtes-vous beaucoup documenté ?
Oui complètement. J’ai réalisé un très gros travail de recherches. J’ai parlé à énormément de monde. Des urgentistes, des flics, des médecins, des éducateurs sociaux, des grands-frères, des délinquants… J’ai tenté d’avoir tous les points de vue.
« La cité, c’est à la fois un ghetto et un cocon »
Cela donne une impression très réaliste de la vie dans une cité…
Je ne voulais pas reproduire les clichés habituels. Le rap, les tags, etc… Je voulais prendre le contre-pied avec de la musique plus classique, des plans moins violents. Je pense bien connaitre le sujet car j’ai beaucoup écouté. Je ne voulais pas juger les personnages.
Ce côté très réaliste donne un message très pessimiste au final. On a l’impression que la vie dans la cité est tellement éloignée de celle de la société, que le rapprochement est devenu impossible…
Je ne pense pas que ce soit pessimiste car dans le même temps, il y a des choses magnifiques dans les cités. Quand ils regardent tous le match de foot sur la même télé par exemple. Il y a cette forme de solidarité. La cité, c’est à la fois un ghetto et un cocon.
C’est plus l’écart entre la cité et la société dite « classique » qui est très marqué…
C’est aussi la différence entre le monde adolescent et le monde adulte. Quand on est adolescent, on a des prises de conscience qui sont lointaines, qu’on n’applique pas. Surtout, la cité est un milieu qui exacerbe un peu plus. C’est vrai que ce n’est pas très optimiste mais ce film veut montrer qu’il faut reprendre le dialogue, faire confiance au verbe. C’est ça le propos. Si je faisais un film sur les gens heureux, on s’emmerderait vite (rires).
Il y a aussi clairement un conflit générationnel –entre les parents et les enfants – de la cité. Les jeunes ne croient plus du tout au système français…
C’est vrai mais c’est plus nuancé. Le personnage principal fait une connerie au début du film mais, il le regrette tout de suite. Il s’occupe de son petit frère aussi, il a de vraies responsabilités. Ce ne sont pas justes des jeunes qui n’ont plus rien à perdre. Après quand il dit « ça ne sert à rien de faire des études pour des gens comme nous », c’est une réalité. A diplôme équivalent, on n’a pas le même poste, voire pas le poste du tout. Ce n’est pas un documentaire, mais un polar. On est aussi obligé d’accentuer certains traits, de les souligner pour que les personnages ne soient pas plats.
Mais c’est vrai que j’ai vu beaucoup de désolation dans les cités, pas beaucoup de regards. C’est quand même triste. C’est dur, il y a des quartiers vraiment abandonnés. Là où on a tourné, il n’y a plus d’école, plus de pharmacie, plus de commerces…
Dans le film, les valeurs et les principes des personnages immigrés ou d’origines immigrés –turques, arméniens entre autres – sont mis en valeur très positivement. C’était un message que vous vouliez faire passer ?
Oui, c’est un hommage aux générations venues s’installer ici. On a une richesse culturelle en France très importante et on ne s’en sert pas. Aussi, d’un point de vue cinéma, le poids des traditions rappelle Scorsese ou « les Soprano ». C’est très riche en émotion.
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