Eva Ionesco « Les enfants de la nuit » (Grasset, 448 pages, 24 €)

Il s’agit là de son second roman autobiographique, après Innocence, Eva Ionesco poursuit le récit de ses souvenirs d’une pré-adolescence agitée, abîmée également, par une mère Irina abusive qui la photographie nue et dans des poses suggestives, quand elle ne la fait pas tourner dans des films érotiques, dans le seul but de gagner sa vie. Une mère maquerelle en quelque sorte puisqu’elle avoue avoir été « offerte » un soir à Roman Polanski, qui, par chance l’ayant trouvée trop jeune, signe un refus catégorique.
A tout juste onze ans, Eva n’est alors qu’une enfant mais déjà ce sentiment prégnant de solitude. Ses blessures sont telles qu’elle pense au suicide. Par bonheur la rencontre au lycée de Christian Louboutin (le futur chausseur) va bouleverser sa vie puisqu’elle trouve en lui un véritable ami confident et compagnon de virées. Cette amitié est toujours vivace 45 ans plus tard, et avec une petite bande d’amis, ils vont faire les quatre cent coups. Attirés par la musique de l’époque et par les lieux emblématiques tels le Sept, le Gibus, la Main bleue et Le Palace, ils sortent toutes les nuits, dansent, boivent et prennent toutes sortes de drogue, héroïne, cocaïne….Dans ces hauts lieux parisiens, elle y croise quantité de personnalités, Andy Warhol, Pierre Bergé, Karl Lagerfeld, Farida Khelfa, Edwige « la reine des punks » et la designeuse Andrée Putman sans compter le journaliste Alain Pacadis quasiment toujours défoncé qui leur donne toutes sortes de cartons d’invitation pour des vernissages, concerts, défilés de mode et autres cocktails. A l’ouverture du Palace en 1978 ils sont bien entendu présents et déjà connus de tous.

A onze ans elle perd sa virginité avec un homme de 25 ans qui a été aussi l’amant de sa mère et qui s’empresse de lui remettre un cachet de drogue. Parfois il lui arrive de se prostituer, de prendre des risques inconsidérés au vu de son âge mais ce qui semble léger ne l’est pas vraiment. Eva Ionesco souligne l’envers du décor, avec une distance intéressante et parfois mêlée d’humour,  le manque d’argent, la drogue qui circule facilement. Bref les coulisses sont loin d’être reluisantes et le mythe d’un Paris insouciant et fêtard, s’effrite. Mais la particularité de l’écriture d’Eva Ionesco est celle de nous embarquer dans cet univers parisien sans pathos, avec humour le plus souvent et une forme de poésie.
Si Eva Ionesco semble sans amertume, hormis lorsqu’il s’agit d’évoquer sa mère pour laquelle elle sort les griffes avec une certaine férocité que l’on peut comprendre, elle nous dépeint surtout la force de l’amitié sincère qui épaule, réconforte et éloigne les ombres de la solitude et du désespoir. Le livre s’achève sur un espoir fou : la rencontre d’un véritable amour. Elle n’a que treize ans

Un roman puissant qui dépeint un Paris disparu, qui nous interpelle et dont on peut saluer le style à la fois distancié, léger mais profondément sensible.


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