Escale des Passagers du Vent au musée de la Marine

Le petit garçon curieux qui passait des heures au musée de la Marine à observer les proues immenses et les augustes statues, revient sur les lieux de son enfance. François Bourgeon, créateur de la poignante bande dessinée Les Passagers du Vent, expose au musée de la Marine des planches originales ainsi que les maquettes ayant aidé à leur conception. Derniers jours pour s’abîmer dans la contemplation de cette œuvre magistrale, avant que le bateau ne largue de nouveau les amarres.

Les Passagers du Vent, cycle commencé en 1979, conte la destinée d’Isa, impulsive, idéaliste, à l’étroit dans un XVIIIe siècle rigoriste. Lorsque la jeune femme exaltée décide de fuir cette vie étriquée, elle embarque à bord d’un navire, allant jusqu’à se travestir en homme pour infiltrer l’équipage. Mais Isa est rapidement rattrapée dans ses pérégrinations par la violence de l’histoire : l’esclavage et en particulier le commerce triangulaire. François Bourgeon narre à travers les mangroves alanguies et les moiteurs de l’Afrique, la dureté d’une vie où toute fantaisie est réprimée et où la cruauté des hommes dépasse l’entendement. L’histoire d’Isa, restée en suspens pendant plus de vingt-cinq ans, se poursuit depuis l’année dernière avec le septième tome :  La Petite-Fille Bois-Caïman. Aussi documentée que sensible, Les Passagers du Vent dresse un portrait sans complaisance d’une époque dont on ne parle pas assez, par le prisme émouvant d’une femme qui se bat.

Quand François Bourgeon raconte….

L’esclavage

« La problématique de l’esclavage est arrivée en cours de route des Passagers du Vent. J’avais trouvé un ouvrage du photographe Pierre Verger intitulé Flux et reflux de la traite des nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de Todos os Santos du XVIIe au XIXe siècle. Cet ouvrage, très référencé, m’a amené dans différents lieux dont le Musée de l’Homme, les Archives Nationales et les archives de la rue Oudinot, l’ancien ministère des Colonies. J’ai découvert des choses que je savais mais que l’on ne m’avait jamais apprises : ce qu’étaient réellement ces campagnes de traite, ce qu’étaient ces comptoirs au milieu de l’Afrique, etc.

Lorsqu’Isa suit la campagne négrière, une mutinerie éclate sur le bateau, que j’ai décrite en me servant de quelques documents que j’ai trouvés là-dessus. Puis, on arrive à Saint-Domingue et au bout de la première histoire. Quand j’ai retrouvé des documents sur Saint-Domingue et plus particulièrement sur le début de l’insurrection de 1791, j’ai eu de nouveau envie de reprendre cette histoire où je l’avais laissée et de parler du Code Noir, qui régissait l’esclavage. Par exemple, ce Code Noir parle du statut d’un enfant né d’un père blanc et d’une mère créole esclave. Mais il ne parle jamais, évidemment, du cas d’une mère blanche qui aurait un enfant métis. C’est donc dans cette situation très inconfortable que j’ai placé mon héroïne pour lui faire raconter son histoire et donc parler de ce qui est pour moi le côté le plus sensible de l’esclavage : les situations qu’on était obligé de cacher ou bien d’en supporter le poids toute sa vie. »

Isa

« Dès qu’on prend une héroïne féminine, à une époque où seules quelques femmes, rares, tenaient salon et pouvaient prétendre être respectées, on se rend compte de tout ce qui lui pèse dessus. De par sa vie, son enfance, Isa a des problèmes graves, notamment d’inceste, et est obligée de fuir. Donc, c’est quelqu’un qui se trouve être plus sensibilisée à tous les problèmes qu’elle va rencontrer, que ce soit l’esclavage ou autre. Pour Isa, je me suis inspiré des grands navigateurs ou de certaines femmes qui ont réussi à se glisser parmi le personnel de bord en se déguisant en homme. Il y a eu des femmes pirates, donc le personnage d’Isa n’est pas tout à fait invraisemblable même s’il est certain que, pour son époque, elle est atypique.

Je n’ai jamais voulu faire des héros ou des héroïnes tels qu’on les concevait jusqu’alors en bande dessinée. Je voulais faire des gens ordinaires, enfin, avec un petit peu de caractère, mais des gens qui vivent une vie normale ou du moins qui voudraient vivre une vie normale. »

Les Passagers du Vent, une référence…

« J’ai eu des témoignages intéressants, parfois émouvants. Par exemple, à l’Abbaye de l’Epau, on avait organisé un grand débat. Une dame du Bénin est venue me voir après, et m’a dit qu’elle descendait en droite ligne d’Olivier de Montaguère, le gouverneur du Fort de Juda que je représente dans mes albums. Elle me dit qu’elle avait recueilli un certain nombre de choses sur son ancêtre et, comme cela m’intéressait, je lui ai demandé si elle avait trouvé un portrait d’Olivier de Montaguère. Elle me répondit : « Bien sûr. J’ai pris celui des Passagers du Vent. » C’est un pied de nez que j’aime beaucoup. C’est très africain. En tout cas, ça m’a fait plaisir. »

Les Passagers du Vent
François Bourgeon au musée national de la Marine
Jusqu’au 3 mai 2010
Palais de Chaillot
17, place du Trocadéro, 75016 Paris
Ouvert tous les jours de 10h à 18h, sauf le mardi.
Gratuit pour les 18-25 ans (ressortissants de l’UE). Tarif plein : 7 euros.


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