Interview: JEHRO – Cantina Paradise
Fabienne Prevot: quelles-sont vos origines culturelles et familiales ?
Jehro : plutôt bassin méditerranéen: ma mère est d’origine corse et mon père Italien
FP : Artistes ?
J : oui j’ai toujours baigné dans un climat artistique, mon père est auteur -compositeur et ma mère modèle de peintres et de photographes. Mais je pense que c’est le destin qui nous choisit et non l’inverse. La musique c’est comme entrer dans un bateau , une fois embarqué c’est difficile d‘en descendre
FP: quelles sont vos influences ?
J : je suis sensible aux voix et à toutes les musiques des Caraïbes, d’Afrique, d’Amérique du sud, la soul aussi
J’ai grandi avec la chanson Française rive gauche comme Léo Ferré qui véhiculait une forme de pensée qui collait bien à la chanson . Ca n’était pas de la chronique sociale mais c’était poétique, théologique. Chansons à textes car la France est un pays de littérature, cartésien. Les textes sont réfléchis, il est rare qu’on décolle rapidement à travers la poésie.
FP : Quels-sont les poètes que vous aimez?
J : la plupart sont morts : Beaudelaire, Neruda, Gauthier, Pessoa. Il y a une vraie saveur à leur rythme, c’est très coloré. Pourtant je ne comprends pas le Portugais mais je ressens déjà cela dans leur traduction en Français. Pablo Neruda est pour moi l’un des poètes qui a le mieux exprimé l’aspect charnel et la féminité. Il avait une façon de mettre en mots sa passion de façon délicate et profonde. Et puis le personnage qui a toujours eu le courage de ses opinions mais jamais dans la violence, pas de haine au premier degré. Il a toujours gardé une forme de grâce et de noblesse.
FP : Qu’est ce que représente pour vous votre passage à Londres ?
J : ça a été une période très importante car c’était la première fois que je me retrouvais seul… ça a été un franchissement, je me suis débrouillé, j’ai découvert le système D. Ca fait partie d’un chemin de construction, c’était riche, dense et j’ai beaucoup appris.
FP : votre premier album paru en 1999 révèle dans quel état d’esprit vous étiez à ce moment-là ?
J : J’étais plus inexpérimenté dans la production qu’aujourd’hui et je n’ai pas tout géré en terme de production musicale. Je sortais de 5 ans de groupe et j’étais ravi de chanter seul. Mais j’ai eu du mal à assumer cet album car tout ne me plaisait pas. Malgré tout, je n’ai pas de regret .
FP : par qui avez-vous été le plus impressionné ? Edwin Star ou Toots Hibbert ?
J : celui qui me touche le plus est Toots. C’est le James Brown du reggae. Il vient d’un milieu populaire et il dégage une noblesse dans ses yeux, ses expressions, malgré ses vêtements sales.
FP : lorsque vous chantez en Français c’est un vrai choix ?
J : en fait, au départ, je n’étais très à l’aise avec le Français bien que ce soit ma langue maternelle. Il y a plus de voyelles en Anglais, c’est moins rigide, plus malléable. On dit que c’est plus facile pour des textes, mais non. Le son, par contre, est plus émotionnel.
Ce n’est pas la langue qui compte mais je tente une interprétation à travers telle ou telle langue. On dit parfois que si les Beatles étaient traduits en Français, ce serait bof ! Mais il faut se replacer dans le contexte c’était le geyser de la jeunesse, vrai et spontané. Et puis il y a plein de façons de faire passer un message. L’époque était à la légèreté.
L’art passe avant tout dans les chansons et touche les gens. La chronique sociale dans le rap je trouve ça inefficace. Il faut un réel travail d‘écoute et du talent ou de l’empathie pour toucher les gens. Bob Marley et Léonard Cohen y parviennent très bien.
FP : Quels genres de musiques ou d’ artistes aimez-vous ?
J: La bossa nova car c’est mélancolique mais pas triste, le jazz et la musique classique, ça chaloupe. J’aime beaucoup Cesaria Evoria, mélancolique et souriante. On traverse tous des moments difficiles mais on ne sait pas tous ne pas en être attristé. La rumba Congolais que j’aime aussi beaucoup .
Le Buena Vista social Club, qui eux aussi sourient alors qu’ils vivent des situations difficiles. C’est porteur d ‘espoir car ils préconisent de garder confiance en la vie.
FP: Vos chansons sont tendres…
J : oui, et j’espère qu’elles ne sont pas gnan gnan
FP : … et sensuelles.
J : c’est ce que je cultive dans ma nature
FP : Que pensez-vous de la place de plus en plus importante de la violence dans les chansons et les clips ?
J : La culture est un miroir réfléchissant, elle donne le pouls et la santé du message politique. Moi j’ai pris le contrepied. Pour moi, l’art donne de la douceur, c’est créer de la beauté. Je me sens pacifiste. J’exprime dans mes chansons mon amour de la vie, mes chanson se veulent positives.
FP : Vous sentez-vous citoyen du monde ?
J : je dirai plutôt Humain, au sens où je me sens de façon symbolique relié à tout ce qui vit. D’emblée on se mélange et seulement après viennent les frontières culturelles. On bénéficie des codes existant depuis 12 000 ans mais dépassés, on ne peut pas s’y identifier. Plus on approfondit les textes comme la Bible, plus on s’aperçoit que ces textes sont liés à une subjectivité qui est très datée. La culture , pour moi c’est se libérer de codes et créer de nouveaux codes .
FP : une définition rapide de l’amour ?
J : c’est ésotérique, et au sens large c’est tout ce qu’il y a autour de nous .
FP : la vie, la mort ?
J : la mort c’est juste le passage, le mouvement. La vie est pleine de petites morts et réciproquement. Si on accepte la mort on la vivra d’autant mieux. Je dis cela mais je suis un bon vivant. Je pense que l’amour de la vie nous rend dépendant. Il faut savoir partir, lâcher.
FP : on dit que vos chanson font danser, rêver et tomber amoureux. Qu’en pensez-vous ?
J : Rêver, j’espère. Danser, oui car le tempo tend à cela. Danser c’est lâcher prise, partager, c’est beau. Tomber amoureux: si c’était vrai je serais très très riche!
FP : quel moment préférez-vous: lorsque vous composez; écrivez; la scène; les tournées ?
J : je suis timide donc la scène n’est pas facile pour moi, mais en même temps c’est fort, physique et formidable. Je suis plutôt contemplatif. Etre dans mon atelier avec ma guitare et en sortir quelque chose ça m‘émerveille. Ce sont des moments de paix, des moments suspendus…
FP : quel rapport avez-vous avec votre public ?
J : le travail d’un artiste c’est de créer un lien bienveillant, si je parviens à cela alors je suis le plus heureux des hommes
FP : qu’est-ce que vous aimeriez faire et que vous n’avez jamais fait ?
J : un tour du monde durant trois ans avec ma compagne et mes enfants.
FP : votre album sortira le 31 mars. Et ensuite ?
J : une date au Café de la Danse à Paris, puis une tournée en 2011 en France et en 2012 à l’étranger.
Alors rendez vous au café de la Danse pour ce Cantina Paradise si poétique, sensuel et doux.
Et bien plus sur : www.jehro.net
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