Le conte de fée d’Irma
Letter to the Lords est un long album comprenant une vingtaine de morceaux, pourquoi as-tu fait ce choix dans une époque où l’album synthétique (dix ou douze morceaux) semble être plus à la mode ?
Irma : C’est une réédition du premier album qui faisait douze morceaux, et cela me fendait le cœur car on avait dû faire des choix, alors qu’on en avait enregistré au moins vingt au départ. Mais comme ils étaient tous mes petits bébés, j’avais envie de tous les placer !
Les noms des quatre-cent-seize internautes/producteurs sont inscrits sur la pochette de l’album. As-tu déjà rencontré quelques-uns d’entre eux ?
Oui, surtout les deux dernières années, quand je tournais. A chaque fois que je passais dans une ville où il y avait des producteurs, ils venaient me voir à la fin des concerts et on discutait. On se rend vraiment compte que pour eux, ce n’est pas un investissement, ils n’attendent pas forcément un retour ; ils sont juste contents d’avoir participé au projet d’un artiste.
J’allais justement te demander si quatre-cent-seize producteurs, cela ne faisait parfois pas trop de comptes à rendre… Tu n’as pas eu peur de cela au début ?
Non, c’était plutôt rassurant, surtout le fait de se dire que c’est quelque chose qui leur a plu dès le départ. Au contraire : on peut se reposer sur quatre-cent-seize personnes dans mon cas, qui peuvent me dire « on préfère ça, ou ça » à tout moment, ou m’aider à choisir entre deux mix d’une chanson… et ils sont généralement tous d’accord sur la même chose, il n’y a jamais quatre-cent-seize avis.
Tu as une vraie voix, qui nous rappelle parfois Lauryn Hill, à la fois délicate mais aussi dynamisée par des rythmiques soul, reggae ou hip-hop. Dans quel univers musical as-tu grandi ?
Lauryn Hill, on est en plein dedans, c’est pourquoi cela me fait plaisir quand on me compare à elle. Après, c’est un mélange de tout : beaucoup de soul, de new jazz, mais aussi beaucoup de pop, et de pop rock même. J’écoutais souvent des groupes comme Queen, Oasis…
Tu écris seule tes textes. Qu’est-ce qui est venu en premier : l’écriture ou la musique ?
La musique, clairement. J’ai commencé par du piano classique, ce qui n’a absolument rien à voir, et c’est plus tard que j’ai commencé à gratter sur la guitare de mon père, parce que le problème avec le classique, c’est que tu suis la partition que tu ne dépasses pas. J’avais besoin d’un autre instrument pour composer.
Tu racontes ton histoire dans cet album, tu y parles principalement d’amour, et il semble qu’il y a deux approches de l’amour : la manière « End of the story » ou « Every smile », assez nostalgique, et la manière « In love with the devil », plus sombre, plus révoltée.
On peut clairement le voir comme cela. Après, il y a des chansons qui rendent hommage au pays dans lequel j’ai grandi : « Every smile » c’était une manière de dire que tous les sourires, toutes les choses que j’ai vécues là-bas, m’ont permis d’écrire, de composer. Quand j’ai écrit « I know », je me révoltais contre ce que je voyais : un pays riche et des gens pauvres, c’est quelque chose que je n’arrivais pas à comprendre.
Tu as grandi au Cameroun, tu es arrivée en France à quinze ans. Comment s’est passé la transition, à un âge de transition justement ?
Très mal (rires). Non, bizarrement, je pense que j’étais faite pour tourner, parce que je m’adapte très vite à n’importe quel endroit. Je me dis toujours que c’est une étape, je ne me suis pas dit que je ne reverrais jamais mon pays… Quand je suis arrivée ici, bien sûr qu’il y avait un peu de nostalgie par rapport à mes racines, mais je me disais que j’allais découvrir plein de choses, rencontrer plein de nouvelles personnes.
Tu retournes souvent au Cameroun ?
J’y suis retournée pour le dernier Noël, et cela faisait six ans que je n’étais pas rentrée. Retrouver la chambre dans laquelle j’ai composé mes premières chansons… c’est dans ces moments que tu réalises ce qu’il s’est passé.
Tu t’es fait connaître alors que tu étais encore au lycée ; comment cela se passait ? Tu étais un peu la « star » du lycée, les gens te connaissaient ?
Oui, surtout que je jouais dans un groupe de rock à l’époque. En plus, c’était un lycée très catholique, donc on n’avait pas de jean troué mais des chemises bien rentrées dans le pantalon… et on jouait les rebelles en chantant « We dont’ need no education » (cf : Another brick in the Wall de Pink Floyds).
Et aujourd’hui, on peut lire sur le site de MMC (My Major Company), 400 000 écoutes, 96 000 pages vues, mais il y a aussi le disque d’or, le disque de platine… Tu ne te dis pas que cela va trop vite ?
Complètement. Je n’ai pas le temps de réaliser. Tu es dedans et tu fais, tu fais, tu fais… Et puis il y a des moments, comme cet hiver, quand je suis revenue au Cameroun, où tu regardes en arrière et tu te dis qu’il y a eu du chemin.
Tu es actuellement en école de commerce, ce qui semble être un gros sujet… Peux-tu nous en parler ?
Ce qui est drôle, c’est que le jour où j’ai été admise à l’ESCP, je signais chez MMC, quasiment au même moment. Tout s’est toujours déroulé en parallèle, j’ai toujours réussi à jongler pour les cours : j’y allais du lundi au mercredi et j’étais en tournée du jeudi au dimanche. Ce qui est bien, c’est que chez MMC comme à mon école, ils sont assez arrangeants.
Tu comptes aller jusqu’à l’obtention de ton diplôme ?
Oui, car il ne me reste plus que quelques matières à passer, et ce serait vraiment dommage de ne pas aller au bout. Si je rentrais à l’école maintenant, bien sûr que je me poserais des questions, mais je me dis que j’ai déjà fait le plus gros, j’ai commencé et j’ai envie de terminer. Et puis ça me permet aussi d’être en cours, d’avoir le recul nécessaire par rapport à ce que je vis, cela me ramène à la réalité.
Tu pars bientôt aux Etats-Unis. Que vas-tu y faire ?
On va enregistrer la version américaine de l’album, parce que j’ai signé là-bas il y a deux mois, chez Universal Music. Sur cette version, il y aura des chansons qui existent déjà, mais aussi des nouvelles. C’est un gros pari : les États-Unis c’est quelque chose d’énorme, mais cela va également demander beaucoup de travail, parce que des gens qui font de la guitare et qui chantent sur un arbre, il y en a beaucoup là-bas. C’est un beau challenge !
Il n’y a pas des moments où tu te dis « mais pourquoi moi » ?
Oui, tout le temps. Mais je me dis que je ne trouverai pas de réponse à cette question, je préfère donc concentrer mon énergie afin d’être à la hauteur de ce qui m’arrive. En plus je suis assez croyante, et je me dis souvent que ce que tu as aujourd’hui peut disparaître comme cela [elle claque des doigts] le lendemain.
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