Dvd / L’ordre et la morale
Kassovitz revisite le « massacre d’Ouvéa ».
Rappel des faits : en avril 1988, en pleine élections présidentielles françaises (ce détail a son importance), une faction d’indépendantistes kanaks tue 4 gendarmes français et en kidnappe 27 autres. Les otages sont divisés en deux groupes. L’un sera libéré trois jours plus tard et l’autre groupe, avec 16 otages, est confiné dans une grotte.
Après une tentative de négociations qui tourne au fiasco, le nombre des otages passe à 24. Deux semaines plus tard l’armée française met fin aux négociations et lance l’assaut. Bilan : 19 morts chez les preneurs d’otages et 2 chez les militaires. Jusqu’ici tout le monde est d’accord. La polémique survient ensuite, certains remettant en cause la version officielle des faits. Selon des rumeurs, certains indépendantistes auraient été tués après l’assaut, de sang froid. Ce qui correspondrait à des exécutions sommaires…
La version de Mathieu Kassovitz reprend cette thèse pour l’ériger en vérité absolue.
Il va sans dire qu’elle est contraire aux déclarations des autorités militaires.
Le film a donc un parti (politique) pris. Soit. Là où le bat blesse c’est que Kassovitz « oublie » certains détails dans son histoire.
Par exemple, le film présente les indépendantistes comme représentatifs de la société de Nouvelle-Calédonie. Ne pouvant être écoutés par le gouvernement, ils durent se résigner à faire une action « coup de poing » qui leur échappa. Mais Kassovitz ne précise pas que 7 mois plus tôt, 98,3 % des autochtones avaient refusé l’indépendance de leur territoire via référendum.
Dans « L’ordre et la morale », lors de l’action contre la gendarmerie, les quatre gendarmes sont tués par balles, alors que Jacques Chirac à l’époque (et d’autres depuis) a déclaré que les victimes ont été assassinées à coups de machette. Tentative supplémentaire de Kassovitz pour faire paraître les assassins moins brutaux ? Est-ce pour cette raison qu’il nous présente les ravisseurs comme des « pères de famille voulant rentrer chez eux », pris dans leur propre piège ? Syndrome de Stockholm, quand tu nous tiens…
Enfin, après la sortie du film, le colonel de gendarmerie chargé des opérations de police judiciaire après l’assaut (Alain Benson) et le magistrat otage (Jean Bianconi) ont déclaré dans un communiqué qu’ils « n’ont eu ni les comportements, ni tenu les propos qui leur sont respectivement prêtés, lesquels relèvent d’une déformation de la réalité, voire de la pure désinformation».
Rendons tout de même à Mathieu ce qu’il lui appartient : le film est magnifiquement tourné, avec des plans-séquences ahurissants et une plongée dans les méandres des intérêts politiques très instructive. Mais alors qu’il aurait pu être fin, intelligent, laissant le doute sur la « vérité » et posant aux spectateurs les bonnes questions, le film s’enfonce dans l’antithèse pure, quitte à en perdre de la crédibilité.
En somme un film intéressant, seulement si on se documente sur le sujet après visionnage, ce que quasiment personne ne prend le temps de faire. La fin (dénoncer les magouilles politiques) ne justifie pas toujours les moyens (mensonges par omission, manipulations sentimentales, etc).
Si la forme est bluffante, le fond est malheureusement bancal. Dommage.
Bonus blu-ray : ‘Le dernier assaut’ : making of (65′); ‘Le temps Kanak’ : documentaire sur 10 années de préparation du film (60′).
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