Soul Kitchen de Fatih Akin : les âmes échaudées
Soul Kitchen, dernier long-métrage du cinéaste allemand Fatih Akin, est une comédie funky où l’anecdotique de la vie l’emporte sur les grandes considérations. Et c’est tant mieux.
Soul Kitchen a de quoi désarçonner ceux qui ont frémi devant les somptueux Head On ou De l’autre côté. Le cinéaste de l’exil et de la douleur s’essaie à la comédie, avec une légèreté qui, on l’espère, lui permettra de reprendre son souffle avant de s’attaquer au dernier volet de sa trilogie « l’amour, la mort et le diable ». Soul Kitchen représente un film métaphore où les âmes se cherchent tout en mélangeant les ingrédients de la vie.
« Ça m’ennuyait de voir depuis que Head On et De l’autre côté, je semblais être abonné aux sujets sérieux. Je suis sorti exténué [de ces deux tournages]. Soul Kitchen devait me permettre de récupérer. Avec ce projet, j’étais censé faire quelques gammes et me rappeler que la vie n’est pas faite que de douleur et d’introspection. » (Fatih Akin)
Soul Kitchen ou la cuisine de l’âme
Soul Kitchen, comédie branquignole, doit sa force à la puissance émotionnelle de ses personnages taillés dans le marbre, irréfutables, sans demi-mesure.
Le personnage principal, Zinos Kazantsakis, tient un restaurant aménagé dans un hangar paumé en pleine zone industrielle : le « Soul Kitchen ». Dans cet immense espace aux allures arty inexploitées, les honnêtes gens viennent se sustenter d’une nourriture sans prétention. Plus Zinos est suivi de près par ses amis du fisc, plus sa compagne s’éloigne, partant vivre d’insoupçonnées aventures en terre lointaine. Cerise sur le gâteau, Zinos écope d’un mal de dos. Afin de redresser sa petite entreprise, à défaut de son dos, l’homme courbé en deux fait appel au chef Shayn Weiss, cuisinier caractériel et caricatural. Interprété par Birol Ünel avec un brio colérique digne d’un Jack Nicholson sous ecstasy pour un Shining hallucinatoire, le cuisinier, ne sachant s’exprimer autrement que par le lancer impromptu de couteaux, va révolutionner la cuisine du «Soul Kitchen». De sympathique boui-boui, le « Soul Kitchen » devient restaurant gastronomique. Se servant des ingrédients habituels mais les mettant en scène (les poissons panés surgelés, une fois leur panure ôtée, deviennent par exemple de délicats filets…), l’homme se targue de savoir vendre ce qui est invendable : « la cuisine de l’âme ». À l’instar, ajoute-t-il, de l’amour, du sexe et de la tradition que, en ces temps de dévergondage et de surconsommation, l’on essaie de nous vendre. Restant en suspens (la « cuisine de l’âme » désigne-t-elle l’illusion de bien manger ou est-elle une métaphore désignant le lieu où les âmes se croisent et se mélangent ?), la question ne sera pas développée par Fatih Akin de manière franche, évitant ainsi la philosophie de comptoir. Le cinéaste privilégie plutôt l’esquisse de personnages truculents et drolatiques, sur fond sérieux de gentrification des quartiers industriels allemands.
Surréaliste Soul Kitchen
Le « Soul Kitchen », café d’artiste au potentiel inexploité, ne va pas tarder à se muer en lieu de la nuit in, joyeux foutoir convoquant la folie des seventies et ses orgies improvisées. La richesse du film de Fatih Akin provient de ce subtil mélange entre scènes surréalistes et enlevées et incursions dans un cinéma plus réaliste. Cette mixture appétissante louvoie ainsi entre tous les manichéismes et toutes les caricatures dont elle use à doses homéopathiques. La galerie de personnages est ainsi jouissive, de la serveuse mystérieuse, paumée et attachante, parfait archétype de la nonchalance de la jeunesse de la nuit, au frère, Illias, repris de justice repris de justesse par son frère tentant de l’apprivoiser, jusqu’au promoteur véreux tentant de racheter le restaurant. Un vieux matelot adorable, personnage en point d’interrogation, parfait le décor de sa surréaliste présence, dansant gauchement entre de somptueuses filles lors des soirées de plus en plus hot du « Soul Kitchen » ou mangeant sereinement, indifférent à l’agitation nerveuse de rockeurs échauffés.
Une utilisation des clichés revigorante
Ecorchés vifs, un peu tocards, souvent ridicules à l’instar de Zinos qui trottine la main aux reins pendant une bonne partie du film, les personnages de Soul Kitchen sont diantrement attachants. Le comique de situation figure un des ressorts principaux du film. Tandis qu’un rigide chiropracteur affectueusement surnommé « briseur d’os » calme les tours de reins en un violent tour de corde autour des hanches, le cuisinier hurle des insanités, affute ses couteaux le regard malveillant ou, sous la colère, les plante dans la première porte venue. Un humour qui n’est pas sans rappeler celui des films muets, de Charlie Chaplin à Buster Keaton. L’autre spécificité de Soul Kitchen provient de l’utilisation de clichés, clins d’œil malicieux à l’histoire du cinéma. Il y a les surnoms ridicules et les personnages à la gaucherie émouvante. Mais il y a aussi les scènes stéréotypées où le maître cuistot initie l’élève incapable à l’art de la cuisine ou les amoureux dînent aux bougies, alors que la neige tombe, drue, dehors…Toute une mythologie cinématographique est ainsi invoquée, qui rappellera, selon la culture de chacun, d’autres moments d’autres films aimés.
Le « Soul Kitchen », espace de liberté utopique et foyer des âmes
Le « Soul Kitchen », endroit double, campe à la fois un espace de liberté où l’on s’aime et où l’on danse et à la fois un endroit typique de la mainmise des intellectuels et des bobos sur les quartiers populaires. Le film a été tourné à Hambourg dans ces lieux en friche qui ferment et constitue un « Heimatfilm », c’est-à-dire un film « typique de l’Allemagne des années 1950, où l’on parle d’amour, d’amitié, et de la vie dans une petite communauté quasi villageoise » (Fatih Akin).
Lieu ambivalent, bon et mauvais, le « Soul Kitchen » est donc parfait pour abriter ces âmes qui se cherchent.
La musique est la nourriture de l’âme
Traité de manière graphique, vif et surmené, ce film se distingue également par sa bande originale aussi légère et sautillante que la caméra qui prend des libertés salvatrices (panoramiques inopportuns, ralentis romantiques, etc.). Jeu sur le mot « Soul » signifiant à la fois âme et désignant également un type de musique, Soul Kitchen est servi par une musique funky et soul bien sûr, finalement très entrainante, de Kool and the Gang à Quincy Jones en passant par Syl Johnson.
Nous ayant habitué aux contes noirs, Fatih Akin narre avec Soul Kitchen un joli conte pour grands enfants dévoyés.
Crédits photo : © Pyramide Distribution
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