Mauvaise fille, de Justine Lévy

Pour son troisième roman, Justine Lévy choisit un thème intemporel: le rapport mère/fille. Un coup fille, puis mère. Un coup indigne, puis modèle, la narratrice Louise fait le tour de la question, en pose un tas d’autres et laisse le lecteur amusé d’entrer dans cette histoire aussi romanesque qu’autobiographique.

Justine Lévy est bel et bien une « fille de… » Une de plus certes. Mais de cette famille un brin barrée – l’écrivain est née du premier mariage de son père BHL avec Isabelle Doutreluigne, reine des podiums – elle a gardé beaucoup de souvenirs, de la rancoeur et surtout une réelle admiration pour ses deux parents. Déjà, son premier roman levait le voile sur ses rapports difficiles qu’elle entretint avec sa mère. Là encore, dans « Mauvaise fille », Isabelle Doutreluigne tient une place centrale. Malade, cancéreuse, à l’agonie… la mannequin qui faisait tourner toutes les têtes n’est plus. Une beauté évanouie qui la laisse seule, désarmée dans un monde d’apparences. Alors que reste-t-il, si ce n’est la famille dans ces moments-là? C’est toute la première partie du livre. Louise en veut terriblement à cette femme qui ne savait pas être mère. Dans un discours débridé à la ponctuation pressée, illustrant très justement le caractère névrosé de l’héroïne, Louise lâche quelques bribes de cette enfance que nulle autre n’a connue. Elle se souvient des trajets qu’elle effectuait seule à seulement deux ans, elle se remémore les après-midi à attendre sa mère qui l’avait oubliée, elle n’a pas omis non plus les fêtes et les soirées. Les amis de maman qui lui firent goutter l’alcool dès ses premières années, les amants qui défilaient, les médicaments et autres drogues qui traînaient dans le salon. Non, Louise n’a rien oublié, elle ne le pouvait pas. Mais la rancoeur ne fait pas long feu face à celle qu’elle considère toujours comme la plus belle. Elle l’aime bien plus qu’elle ne lui en veut mais ne sait pas vraiment le lui montrer. Sa mère, cet être idéalisé, à la fois terriblement futile et pourtant captivant, se meurt. Une agonie cancéreuse lente, atroce, faite seulement de souffrance que Louise ne peut accepter. « Si maman meurt, je me disais, alors c’est que les bateaux peuvent voler, les chats pleurer, les maisons chanter à tue-tête. Pas possible. »

 

Une agonie lente

Peu à peu, Isabelle perd chacune de ses facultés. Peu à peu elle accepte son sort. La finalité d’une vie brûlée par tous les bouts. Louise elle, assiste impuissante à cette évolution désastreuse, impossible à ralentir. Au coeur de ses pensées, de ses névroses et de toutes ses sautes d’humeur, le lecteur suit les atermoiements de la narratrice qui, très vite, est rattrapée par un autre dilemme moral. Comment annoncer à sa mère mourante qu’elle, sa fille, va mettre au monde une nouvelle vie? Un sentiment de gêne, de honte surtout qu’elle n’arrive à surmonter. La peur remplace alors la compassion. Pas un jour ne passe sans qu’elle aille à l’hôpital. Pas un jour ne passe non plus sans qu’elle en reparte avec une bonne raison pour ne pas avoir abordé le sujet. 

Cette grossesse donne d’ailleurs un deuxième visage à cette héroïne troublée et en conflit incessant avec elle-même. S’ensuit une réflexion, cette fois beaucoup plus classique, sur le besoin – réel ou imposé par la société? – d’être mère. En a-t-elle envie? Et comment gérer une période aussi heureuse qu’une grossesse alors qu’elle devrait être en deuil? Comment se résoudre à accepter sa chance? Et, est-ce véritablement une chance? 

 

La femme enceinte dans toute sa splendeur

Elle tente bien de se faire une raison. Une raison à base de médicaments ingurgités de manière compulsive. D’ailleurs, la compulsion devient un mode de vie. Un coup heureuse, un coup triste, un coup au bord du gouffre. Pablo, son amoureux, y passe aussi. Lui qui fait tout pour que l’enfant ait le meilleur papa du monde. Elle, le hait de cette perfection, de sa joie de vivre, de son sourire… Puis l’aime, puis le hait… Une bipolarité totalement assumée – Louise n’hésitant pas à reconnaître son affreux caractère – que seul son père, loin mais toujours présent, semble en mesure de calmer. Et encore… La femme enceinte dans toute sa splendeur. Rien ne va, rien n’est simple, les envies deviennent des besoins, les désirs sont des obligations… Tout y passe. Certes, cette deuxième moitié du roman ne révolutionnera pas la littérature. La grossesse ayant déjà été étudiée, racontée et décrite sous toutes les coutures,  Justine Lévy n’y apporte pas un éclairage très innovant. Mais cette narratrice a su captiver son lecteur, l’entraîner dans ses névroses, dans ses rêves, dans ses rancoeurs, dans ses souvenirs, dans cette enfance délurée qu’elle aurait tant aimé calme et tranquille. A elle dorénavant d’être mère. Elle, la « mauvaise fille », doit maintenant devenir une bonne mère. 

 


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